Ce texte a été écrit en 2016 et relate l’expérience du travail de soignant exercé en France dans les années 2000.
Faire une pause de quelques années de mon métier d’aide-soignante m’a été salutaire. À l’époque, j’étais au bord du burn-out et j’ai été victime et témoin d’un processus terrible : la déshumanisation.
Les soignants sont forcés d’exercer leur métier d’une manière qui va à l’encontre de ce pour quoi il l’ont choisi : par amour de l’Autre. Le système de santé actuel nous force à maltraiter d’autres êtres humains (ex : en ne leur servant que la moitié d’un repas, ne leur faisant qu’une brève toilette, les priver d’un temps relationnel de qualité,…) leur faisant sentir notre urgence et le poids de leur dépendance.
Un processus de défense naturel se déclenche alors souvent chez les soignants en souffrance : ça commence par du détachement, de la désensibilisation, jusqu’à une totale déshumanisation : le patient / résident/ bénéficiaire / client n’est plus considéré comme un être humain mais comme une tâche à exécuter.
Les équipes sont réduites tandis que les anxiolytiques et calmants en tous genres sont dispensés. La pilule remplace dorénavant la relation humaine.
J’ai été témoin de choses terribles, suis rentrée tellement de fois en larmes chez moi, me sentant impuissante face à l’injustice de certaines situations, et puis un jour alors que j’étais en train de faire des soins à un patient j’ai eu un choc :
Cela faisait 10 minutes que j’étais là et je ne me souvenais même pas si je lui avais dit bonjour. Le processus de robotisation était lancé.
J’ai eu la lucidité de l’observer, et surtout la chance de pouvoir faire une longue pause, puis reprendre ce métier en Suisse, où j’habite maintenant, pour l’aimer de nouveau. Je suis devenue la pro des “formulaires de suggestion” à mon boulot, et s’ils tardent à répondre, je les harcèle.
Être investie dans mon travail, donner du sens à ce que je fais, vouloir améliorer le système et en même temps accepter qu’il est ce qu’il est, autant fucked up soit-il.
C’est le moyen que j’ai trouvé pour conserver mon humanité et ma santé mentale.